22 Août 2022.
Il y a 11 mois... jour pour jour...
Je reçois un coup de fil provenant de l'Australie. C'est le cousin. Je sais qu'il ne va pas très très bien. Alors quand le téléphone sonne à 7h du matin et que cela te tire de ton sommeil. TU SAIS.
Tu sais que cet appel est porteur de mauvaise nouvelle. Je m'attendais à ce que ce soit lui, qui pleure au téléphone me disant : "July j'en ai marre, je veux mourir."
Mais non... il m'a dit en s'étouffant..."C'est Thomas ! C'est Thomas ! Il est mort !"
Sortie de nulle part. Thomas. Alors qu'il était sorti de la tête de tout le monde durant cette période de rentrée... Il met fin à ses jours.
Dans cette tragédie... je constate quelque chose de déroutant... Pendant que tout le monde vit un drama familial et émotionnel. Je ne pleure pas. Je n'ai pas mal. Je me sens insensible et impassible. Je ne comprends pas.
Je ne sais comment dire, car cela fait des mois, presqu'un an en réalité que je retiens à mon insu l'émotion et la tristesse de cette perte au fond de moi. J'ai l'impression d'avoir perdu quelque chose sur le chemin. Même dans ma capacité à profiter de moments présents et merveilleux. J'ai perdu quelque chose.
Mes émotions et mon pouvoir de ressentir la souffrance. Comme si j'avais forgé un château fort autour de mon cœur et qui m'empêche de pleurer, de ressentir, de souffrir, de me laisser traverser par la peine et la souffrance. Et bien entendu, les choses se sont cristallisées à l'intérieur de moi. Je me laisse moins traverser. Je ne plonge plus dans mes ressentis. J'AVANCE. Je mets un pied devant l'autre. Je prends les coups et j'avance sans savoir ce qui me retient de vivre pleinement parfois.
Il y a quelques jours, en stage chez Franck Lopvet voilà une idée qu'il a partagé et qui a fait un tour dans mon être : Ce qui t'a fait entrer dans le développement spirituel/personnel c'est ce qui t'amène aujourd'hui. Tu crois que tu avances, que tu règles tes problèmes, tu as beau faire le tour de la question, tu es encore avec ce même problème.
Alors je me suis regardée il y a 10 ans en arrière, 2011. Cette période de ma vie où j'ai commencé à m'intéresser à la spiritualité, à intellectualiser, mentaliser mon expérience de vie au lieu de juste la traverser comme je le faisais si bien jusqu'à lors.
Je venais de me séparer. Je cherchais à comprendre pour moins souffrir, moins avoir mal, pour pouvoir accepter d'être dans cet amour inconditionnel et dans cette acceptation de la vie. Alors que j'avais seulement besoin de pleurer, de vivre ma souffrance.
J'avais 26 ans et je sortais d'une relation amoureuse dans laquelle je m'étais engagée à 21/22 ans, avec un homme qui avait deux enfants. Tu vois, j'ai eu beau faire le tour de la question, tordre l'histoire, les enjeux, mettre du sens à cette rupture parce que je ne comprenais pas pourquoi cette histoire restait-là comme un boulet accroché à mes pieds et m'empêchait d'aimer totalement, entièrement comme j'ai toujours pu le faire.
L'émotion c'est une information ressentie qui se cristallise à l'intérieur de toi si tu ne la vis pas.
A cette idée entendue, je vois apparaître le visage de deux enfants. Et j'ai compris à cet instant-là que le nœud de ma problématique était-là. Que deux personnes qui ne s'aiment plus, ne veuillent plus continuer le chemin ensemble est concevable. Mais, rompre le lien avec deux enfants que j'aimais et qui m'aimaient et ressentir une telle douleur était indicible. Je n'avais aucun droit, ni de les revoir, ni de leur dire combien je les aime et combien ça fait mal. Cela a créé cette cristallisation à l'intérieur de moi. J'avais mal, mal de ne pas pouvoir continuer à partager avec eux, à les aimer comme je les aimais durant ces années de vie commune. Du jour au lendemain, il n'y avait plus rien. Le silence d'un appartement.
Comment pleurer cela ? Cette violence était impensable. Et les croyances à cette époque que j'avais m'ont enfermée et empêchée de pleurer.
"Ca va ! T'es pas leur mère !", "Tu n'es rien aux yeux de la loi.", "Pour qui te prends-tu ? tu n'es rien."
En écrivant ces phrases. L'émotion me monte et c'est bien elle qui est restée cristallisée depuis tant d'années. J'ai été touchée dans cette mère potentielle que chaque femme peut incarner en elle, qu'elle soit mère ou non. J'ai sentie cette mère en moi à qui on arrachait des enfants qu'elle a tant aimés. Je ne pouvais pas l'admettre car je n'étais pas leur mère. Cette souffrance, cette douleur indicible, ce déni de soi. Personne, ni même moi, était en mesure de le voir à quel point dans cette rupture j'avais mal de quitter les enfants. Je suis restée là, dans cet état de sidération, d'incapacité à caser cela quelque part. Comme si il était impossible de poser des mots dessus.
C'est l'indicible que j'ai arrêté de pleurer et de ressentir. C'est ce que la vie m'a arrachée que je ne pleure plus. Et en posant les mots, c'est aussi à cet endroit que les larmes me montent.
J'ai rouvert les vannes durant ce stage. J'ai pleuré la July-mère à qui on lui arrache l'amour des enfants. J'ai pleuré ces 10 années où mes histoires de cœur ont été perdues parce que je n'ai pas trouvé d'espace pour pleurer cette peine. Où j'ai rejeté chaque homme avec un enfant, chaque homme souhaitant avoir des enfants. J'ai pleuré cette mère que je n'ai plus jamais voulu être ni devenir. J'ai pleuré mon cher cousin Thomas. J'ai pleuré et je continuerai de pleurer dès que l'émotion se présentera à moi.
Aujourd'hui, je me donne tous les droits. Il en aura fallu du temps. Je me suis donné les moyens, il n'y aura plus d'indicible qui ne pourra se dire chez moi.