Stefan, c'est ce monsieur pour lequel j'avais composé le sac de l'Avent... -
Cher monsieur - le jour où je décide de prendre ce sac avec moi pour le lui offrir, se tenait non loin de là un autre homme, encore en plus piteux état. Il faisait froid, le vent soufflait assez fort et il pleuvait également. Je ne m'étais à aucun moment préparée à rencontrer ce jour-là une autre personne. Stefan, dont je ne connaissais pas encore le nom, n'était donc pas là. Pendant quelques secondes, la question de savoir ce que j'allais faire de mon sac m'avait traversée l'esprit.
Et puis, bien qu'au fond de moi, une pointe de déception m'avait envahie, je décidais de donner ce sac à cet homme, signe pour moi d'un réel don de soi pour un inconnu pour qui aucun lien ne fut jamais créé. L'odeur qu'il dégageait était très forte. Un mélange d'urine, d'alcool et de plusieurs jours sans toilette prit possession de mes narines. Accroupie face à lui, son regard croisa le mien. Je ne me sentais pas capable de lui demander comment il allait, au vu de son état et de son langage corporel, affalé à moitié sur le sol, adossé contre le seul poteau... Il se maintenait comme il pouvait. Je tentais du mieux que je pouvais de faire abstraction de l'agression olfactive que je ressentais à ce moment-là. Pour seule réponse à mon bonsoir, cet homme hocha de la tête. Il me donnait l'impression de ne pas comprendre ce que je lui voulais.
Je lui présentais le sac à dos, et lui expliquais ce que j'y avais mis dedans. La main posé sur le cœur, les yeux humides, il hocha à nouveau de la tête pour me remercier. A cet instant-là, je pris conscience qu'il n'était probablement pas en mesure de répondre par les mots. Était-ce une difficulté sociale ou le fait qu'il ne parlait pas français ? Je ne le saurai jamais. Puisque, bien que cela fasse déjà plusieurs semaines, je n'ai jamais revu cet homme.
Stefan, quant à lui, ressemble un peu à cet homme sur la photo. Quelques jours plus tard, alors que je repassais par là, mon cœur avait ressenti cet élan que j'avais au départ : faire un geste envers ce monsieur. Alors que nous échangions nos mots habituels, cette intention que j'avais posé d'aller réellement à la rencontre de cet homme s'était révélée. Pourquoi ce jour-là ? Pourquoi à cet instant-là ? Je pourrai l'expliquer ainsi :
En le voyant assis à sa place habituel, avait jailli en moi le sentiment de ne pas avoir accompli la mission que je m'étais confiée. C'est cet homme là avec qui j'ai créé un lien, avec qui je parle de temps à autre, à qui j'offre des cigarettes, ce sac lui était normalement destiné... Je n'arrivais sûrement pas à me résoudre de ne rien faire pour cet homme, alors que c'était mon intention initiale. C'est ainsi que je lui avais proposé d'aller manger un bout.
Le regard qu'il avait pour attirer les passants dans la rue s'était transformé. Il avait de très beaux yeux verts qui commençaient à scintiller. Sur le chemin vers le restaurant, nous essayions de communiquer mais passé les quelques mots de français qu'il connaissait, la conversation n'était pas si simple. Néanmoins, nous fîmes les présentations, j'appris son prénom et ses origines.
Stefan paru animé par la situation, il était dans une logorrhée impressionnante, et commença par me raconter les détails de sa vie familiale... Très vite, il me fit comprendre qu'il avait une femme "Gina" décédée d'un cancer du sein, qu'il avait perdu ses deux parents, et il avait trois enfants restés au pays. Il est arrivé en France, il y a déjà plusieurs années avec son frère en espérant gagner un peu d'argent à renvoyer à leurs enfants. Sur d'autres points, son histoire paraissait farfelue mais la barrière de la langue ne m'avait pas permise d'être sûre de ce que j'entendais ou comprenais.
Nous eûmes des "discussions" qui tournaient autour de sa situation de sans domicile fixe, de la culture Roumaine à travers la danse et les femmes, quelques traductions de mots dans nos langues respectives... Et à plusieurs reprises, il me confia sa reconnaissance de ce geste que je faisais envers lui tout en le reliant à cette impression d'être invisible aux yeux des passants qui, pour lui, faisaient semblant de ne pas le voir. Ils lui donnaient le sentiment de ne pas exister... Je l'écoutais, lui posais des questions, avec son verre de vin, il s'enjouait à trinquer à maintes reprises avec moi, sur son visage se dessinait régulièrement un grand sourire qui laissait entrevoir quelques dents encore présentes. Il semblait apprécier ce moment dont il se nourrissait. Car mon repas terminé, son verre de vin bu et sa pizza restée intacte dans son assiette plus tard, Stefan mimait le fait de manger doucement et très peu. De mon côté, il me donnait l'impression de vouloir étirer ce moment où il pouvait discuter avec une personne au restaurant, comme n'importe qui. Ou peut-être parce qu'une personne l'envisageait, le regardait, s'intéressait à lui ? Malgré le fait que nous ne parlions pas la même langue, Stefan parlait beaucoup... Il souhaitait me montrer le parc dans lequel il s'abritait, me demandait quand est-ce que j'allais repasser par là car il souhaitait me donner quelque chose en guise de remerciement, il n'avait de cesse de répéter qu'il voulait graver mon image dans le cœur.
Je dus mettre fin à cette rencontre, sinon je pense que Stefan aurait pu y passer la nuit. Sa boîte de pizza sous le bras, il me fit un baise main et nous nous quittâmes devant le restaurant. Lui et moi sachant que chacun va retrouver sa place... lui à mendier sur le trottoir, et moi à passer devant lui régulièrement... mais plus rien ne sera comme avant, parce qu'aujourd'hui, cet homme a un nom et une histoire. Il s'appelle Stefan.
Ju'