Ecriture thérapeutique
Depuis ce matin, je suis dans un état de figement.
J’essaie de ne pas fuir ma sensation.
Mon corps est douloureusement désagréable à ressentir.
Etrangement, tout est parti d’une phrase entendue lors d'une discussion avec une amie consœur, et que j'ai pourtant entendue des cinquantaines de fois maintenant :
« J’ai une nouvelle cliente. »
J’ai senti une sensation dans le bide…
Comme une flèche qui m’a traversée de part en part, réveillant une blessure ancienne.
L’impression que j’en ai ?
Je suis en train de me faire rattraper.
Ça réveille la part en moi qui souffre, celle qui ne peut plus avancer.
Cette sensation, encore une fois, de voir les autres avancer, vivre…
Et moi, figée là.
Je sens mon cœur battre, taper contre ma poitrine.
Ça brûle à l’intérieur : de la trachée jusqu’au cœur, puis jusqu’au ventre.
Je suis en apnée.
Je reconnais ce pic d’angoisse, qui depuis ce matin se diffuse en anxiété.
Une part de moi a envie de hurler.
Une autre de pleurer.
Une autre encore de fuir, de ne pas faire face. D’abandonner.
Cet état… je le reconnais.
Il appartient à une mémoire. À une scène du CE1.
Un moment qui m’a paru durer une éternité.
Je ne sais pas s’il s’est écoulé une journée, une semaine ou quelques heures…
Cela reste flou.
Mais je savais que ma maladresse allait me coûter cher.
LA PUNITION.
Pas de répit : hypervigilance à la maison, hypervigilance à l’école.
Je suis assise sur ma chaise, face à ma table.
Devant moi, mon cahier. Les pages sont rigides, séchées par la colle que j’ai renversée sans faire exprès.
Je suis figée là. Aucun moyen d’y faire face.
Je voudrais disparaître. Mais je ne peux pas.
Je sais qu’à un moment, je vais devoir subir.
Le temps est devenu flou. Peut-être des heures, peut-être des jours.
Je suis restée là, assise, sans jamais faire corriger cet exercice.
Je suis passée de la tête de classe au dernier wagon du train.
Je voyais les autres aller au bureau, revenir avec de nouveaux exercices.
Les petits bâtons s’ajoutaient devant leurs prénoms.
Le mien, lui, restait figé. Figé dans le temps avec moi.
Et puis un jour…
« Ju', dis donc, ça fait longtemps que tu n’es pas venue faire corriger ton exercice… Amène ton cahier. »
Je le savais.
Mais ça n’a rien enlevé à la difficulté de me lever, de marcher vers ma sentence.
J’étais totalement dépendante de cet adulte.
« C’est quoi ça ?!? Mais t’as vu l’état de ce cahier ?! »
Il secoue le cahier, me pince le nez entre ses doigts, me fait secouer la tête.
Puis… il envoie le cahier par-dessus les têtes de mes camarades.
Il s’écrase contre le tableau noir, puis tombe au sol.
« Va récupérer ce torchon ! »
Et il écrit dans le cahier :
«Ju' n'avance pas dans son travail. C'est une enfant sale »
Il me demande de le faire signer par mes parents.
Double peine.
Je rentre chez moi, je marche encore une fois vers ma sentence.
Tendre le cahier à ma mère. Montrer le mot, oui…
Mais aussi avoir à le traduire moi-même. Dire à voix haute ce qui est écrit.
C’est une torture intérieure. Un combat perdu d'avance face à ces grands.
Subir. Compter les secondes face à la menace.
Savoir qu’au moment où je dirai ces mots, je recevrai la foudre.
Tendre le bâton pour me faire battre.
Triple peine.
Depuis ce matin… je me sens figée.
Cette réminiscence m’a chopée sans prévenir.
Je n’essaie pas de fuir.
Je veux comprendre cette impossibilité à me retrouver.
Ce figement. Cette anxiété.
Comment une simple phrase peut réactiver l’expérience de me sentir minable aujourd’hui.
Je reste connectée à la sensation.
Je la cherche dans mes tripes.
Je recontacte cette Moi figée, qui revient en pleine face.
Cette petite fille seule, démunie, face à la violence des adultes.
Celle qui est restée immobile pendant que les autres avançaient.
Celle qui a fait l’expérience que la plus petite maladresse pouvait déclencher une avalanche de violence.
Celle qui a encore besoin d’être sécurisée.
Petite Moi…
Tu n’es plus toute seule maintenant.
Tu n’avais pas beaucoup d’options à ce moment-là pour sauver ta peau.
Tu as attendu le plus longtemps possible pour te protéger.
Et tu as fait de ton mieux.
Tu n’avais que 7 ans.
Tu as dû composer avec un environnement qui ne savait pas voir ta fragilité.
Je sais à quel point cette expérience a fait exploser ta jauge de stress.
Je sais que personne n’était là pour te dire que la réaction des adultes était démesurée.
Personne ne t’a dit que tu n’avais rien fait de mal.
Et pourtant, tu n’avais rien fait de mal.
Tu avais juste renversé de la colle.
Et pour cela tu as subi violence, humiliation, attaque.
Je suis touchée avec toi. Profondément. Dans mon corps.
Et je suis tellement désolée que tu aies dû subir tout ça.
Si j’avais été là, je me serais mise entre toi et ces adultes.
Et aujourd’hui, je suis là. Je me mets là, avec toi.
Je ne laisserai plus jamais personne te faire du mal ainsi.
Les sensations se sont dissipées... Je respire à nouveau.