"Il ne faut pas de tout pour faire un monde, il faut du bonheur et rien d'autre." Paul Eluard


“ L'écriture est un exercice spirituel, elle aide à devenir libre. ” Jean Rouaud

“ L’écriture est à la fois une façon d’être dans l’humanité et au plus près de l’humain. ” Philippe Claudel

10 mai 2025

Eprouver le silence dans ce lien fragile

 




Je me suis sentie un peu seule aujourd’hui face à ce que j’ai traversé.

Les 15 minutes les plus stressantes de ma vie en tant que praticienne.

Imaginer le pire parce que le client qui habituellement est toujours là 5 minutes avant n’arrive pas. 

La dépression, les pensées suicidaires et l’avoir laissé 2 semaines plus tôt dans un état de souffrance que le pire traverse réellement mon esprit.

15 minutes à attendre si le client va arriver avant de fermer la porte du cabinet. Et surtout à espérer qu’il va suffisamment bien pour ne pas avoir commis le pire.

Lui faire un message pour lui rappeler que je l’attends.

Et continuer à imaginer ce qui pourrait se passer de pire dans la vie contemporaine du client.

Me rappeler lui avoir dit deux semaines plus tôt que c’est le moment où il devrait tenir bon et surtout ne pas lâcher la thérapie alors que son système nerveux montre une envie intense de se retirer du monde.

Lui rappeler que je suis là, que cet espace est le sien et qu’il est important. Me souvenir qu’il m’a dit : « Ça me fait du bien de te parler et je ferai tout pour ne pas lâcher la thérapie. »

Ne pas le voir 5 minutes avant l’heure dans la salle d’attente et sentir qu’aujourd’hui ne sera pas comme d’habitude.

Tapoter l’index sur la table. 

Respirer.

Attendre.

Préférer que le lien ne soit pas encore bien tissé et qu’il m’ait oubliée que d’imaginer le pire…

Me demander si je n’ai pas de nouvelles, qu’est-ce que je fais ?

Attendre et me demander si j’appelle après les 15 minutes posé par mon cadre. 

Et si c’est la famille qui décroche ?

Et là penser… Je suis seule face à moi-même, à mes choix, à mon humanité, à mon éthique, à mon cadre ?! Et je vis pour la première fois les 15 minutes les plus longues et angoissantes de ma pratique.

Attendre un client qui n’arrive pas, parfois c’est aussi ça. M’inquiéter pour lui. Me demander ce qui a bien pu se passer entre les séances. Me demander comment il a traversé sa vie et s’il tient le coup.

Lui envoyer un message et lui dire que je l’attends, que ce n’est pas habituel chez lui, que je suis inquiète et espérer que ce n’est qu’un contre-temps.

Le connaître suffisamment pour savoir les pensées qu’il pourrait avoir s’il a oublié et qui inhibe sa reprise de contact.

Imaginer toutes les configurations possibles.

Et puis envoyer un message encore. Lui rappeler que je suis là, que s’il a oublié la séance, que ce n’est pas grave, je suis là pour la prochaine séance, que notre lien reste intact et qu’il revienne vers moi poser un autre RDV.

Puis essayer de rester tranquille. Continuer à vivre ma journée avec cette boule au ventre. Non pas faire comme s’il ne se passait rien. Rester connecter à la vie avec cette émotion. Et puis juste faire confiance au lien que nous avons commencé à créer. Lui faire confiance, croire qu’il retrouvera le moyen de reprendre contact avec moi.

Et recevoir des heures plus tard des excuses puis un merci pour le message et pour la présence. Un message qui dit que cela l’a beaucoup aidé et une demande de reprise de RDV.

Le lien est là. Fragile. Mais là.

Même si un moment, j’aurais pu perdre pied. Si je n’avais pas fait attention à sa structure et ses propres schémas, j’aurai pu distordre ce lien, prise moi-même par le réveil que provoque les silences de l’autre dans le lien chez moi. Alors j’ai dû m’accueillir un instant, comprendre que l’anxiété qui s’active m’appartient. M’accueillir pour pouvoir ensuite me mettre de côté.

Et lui envoyer le message qui nous a permis de nous remettre dans la relation.


Ju' - En toute intimité de Gestaltiste      

3 commentaires:

  1. Wouaou tu dis tellement bien les affres que tu as traversées. Tu es en charge d'âmes : ce n'est jamais facile, et même si légalement tu n'es pas responsable d'un éventuel passage à l'acte, c'est vrai que moralement il en va tout autrement...
    C'est pour cela que je t'admire : c'est un métier qui peut être aussi épuisant que passionnant. Ton dernier paragraphe est très fort : on n'a jamais fini de travailler sur soi quand on aide les autres...
    Heureusement tout semble s'être bien terminé. ☺️
    Je t'embrasse
     •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le bonjour chère Célestine,
      L'humain au-delà de la responsabilité. C'est vrai.
      On parle souvent de neutralité dans ce métier, je ne suis pas certaine qu'elle existe vraiment. Mais ce n'est pas pour autant qu'il n'est pas possible de tendre vers une forme de justesse quand même.

      Et qu'on travaille finalement dans la relation d'aide ou non, on n'a jamais fini de travailler sur soi, n'est-ce pas ?

      C'était un plaisir de te lire ici.
      A bientôt.
      July

      Supprimer
  2. Bonjour AlainX,

    Je te remercie pour ton commentaire et pour la réflexion que tu m'apportes et qui donne du grain à moudre à mon moulin à pensées, notamment autour de cette relation que tu décris par ton expérience.
    Pour ma part, j'ai le sentiment que le lien est fragile quand on est en début de thérapie, car le temps de se rencontrer, de faire l'expérience de la confiance en l'autre, de goûter à la sécurité, au bon, à l'ajusté du thérapeute, à ce que ça me procure à l'intérieur de moi....
    Je pourrais comprendre que c'est la relation qui est fragile et le lien se renforce au fil de ce qui se passe dans la relation, et dans la régularité des rencontres. Et qu'un moment, grâce à ce lien, on peut revenir dans la relation. Au début, j'ai le sentiment que ça ne l'est pas tout à fait. En tout cas, dans cette petite expérience que j'ai pour le moment :-)

    Je suis effectivement en train de vivre plein de premières fois dans cette pratique, et je veux bien aussi te croire quand une de tes première situation comparable a pu t'amener à penser que ce tu as pu dire ou faire quelque chose a pu avoir comme conséquence l'absence. Merci de le partager avec moi.

    On chemine avec là où nous en sommes.

    Merci AlainX pour le reflet que tu me fais à la fin.
    Cela compte beaucoup.
    Ju'

    RépondreSupprimer

Tu peux laisser un commentaire si le cœur t'en dit :-)