"Il ne faut pas de tout pour faire un monde, il faut du bonheur et rien d'autre." Paul Eluard


“ L'écriture est un exercice spirituel, elle aide à devenir libre. ” Jean Rouaud

“ L’écriture est à la fois une façon d’être dans l’humanité et au plus près de l’humain. ” Philippe Claudel

14 mai 2025

Une photo défraichie

 

J’étais là, dans cette grande maison vide qui était si plein de monde autrefois.

Je me tiens face à ce frigo rempli de photos. Ce marqueur du temps qui passe.
D’une génération à l’autre.

Ce frigo me raconte des histoires... Nos histoires.
Celles de ceux qui m’ont été chers et qui ont disparu.
Celles de ceux qui viennent à peine de mettre un pied sur Terre.
Une vraie frise du temps.
Un rappel des liens d’autrefois et de ceux d’aujourd’hui.

Et je me suis arrêtée sur une photo de nous.

Une photo défraîchie par le temps, où l’on devine encore les silhouettes, les regards.
Je suis prise d'émotions. 
Touchée par la beauté et l’innocence de notre jeunesse.
Cette bande de cousins, dont le cerveau n’était pas encore tout à fait développé, et dont le seul projet, à cette époque-là, était simplement de vivre ensemble qu'on nous étions ensemble.

Pas de responsabilités, pas de pièces rapportées.
Pas d’agendas de ministres.
Pas d’autres relations affectives. 
Seulement nous : la famille.
Nous, qui nous considérions comme frères et sœurs.


Image d'une bande de cousins et cousines générée par Chat GPT


Une bande de cousins, posée là un peu les uns sur les autres,
faisant des grimaces, pouffant de rire.
Une image figée dans le temps, témoin du plaisir simple d’être ensemble.
Ce moment, nous le reconnaissons en nous encore aujourd’hui.
C’est ce que chacun de nous a gardé de cette période de l’enfance :
un souvenir chéri, mais qui nous rend aussi profondément nostalgiques.

À cette époque, nos priorités étaient simples.
Pas de choix complexes, pas d’organisations dictées par des paramètres flous.
Aujourd’hui, se rassembler comme avant semble devenu presque impossible.

Il y a eu des incompréhensions, des jugements, parfois même du mépris,
qui se sont transmis en téléphone arabe,
transformant peu à peu la communication en poison.

Et pourtant… une chose demeure, enfouie mais intacte :
l’attachement.

Je le sens dans chaque moment partagé avec vous.
Je perçois ce désir d’être ensemble.
Et le regret, aussi, de ne pas y parvenir,
de ne pas réussir à recréer cela pour nos enfants.

En regardant cette photo, j’ai ressenti tout à la fois de l’amour, de la tendresse… et de la tristesse.

Oui, tout cela en même temps.

J’ai revu ces enfants que nous étions.
Et j’ai eu envie de leur dire :
"Je sais ce que nous sommes devenus."

Nous avons grandi trop vite.
Avec trop de négligence, trop d’expériences traumatiques.
En quelques années, nous voilà passés de l’insouciance à la quarantaine.
Chacun a mené ses propres combats,
des luttes intimes que personne ne connaîtra vraiment.

Nous avons perdu une part de la joie d’être ensemble.
Nourris par des attentes déçues, des blessures affectives non reconnues,
des cœurs qui se sont refermés.

La vie a tracé nos chemins.

Et malgré tout… je nous aime.
Je nous aime, même avec nos silences, nos distances, nos maladresses.
Je nous aime pour ce que nous avons été, pour ce que nous sommes devenus,
et pour ce que nous continuons à espérer encore… être ensemble.

Je garde en moi l’espoir discret, fragile mais vivant,
Que nos enfants puissent rire comme nous riions.
Que nos souvenirs deviennent des ponts, et non des murs.

Car au fond de chacun de nous,
je crois qu’il y a encore cette envie simple,
celle d’aimer… et d’être aimé.
Juste avec ce que l'on est.

10 mai 2025

Eprouver le silence dans ce lien fragile

 




Je me suis sentie un peu seule aujourd’hui face à ce que j’ai traversé.

Les 15 minutes les plus stressantes de ma vie en tant que praticienne.

Imaginer le pire parce que le client qui habituellement est toujours là 5 minutes avant n’arrive pas. 

La dépression, les pensées suicidaires et l’avoir laissé 2 semaines plus tôt dans un état de souffrance que le pire traverse réellement mon esprit.

15 minutes à attendre si le client va arriver avant de fermer la porte du cabinet. Et surtout à espérer qu’il va suffisamment bien pour ne pas avoir commis le pire.

Lui faire un message pour lui rappeler que je l’attends.

Et continuer à imaginer ce qui pourrait se passer de pire dans la vie contemporaine du client.

Me rappeler lui avoir dit deux semaines plus tôt que c’est le moment où il devrait tenir bon et surtout ne pas lâcher la thérapie alors que son système nerveux montre une envie intense de se retirer du monde.

Lui rappeler que je suis là, que cet espace est le sien et qu’il est important. Me souvenir qu’il m’a dit : « Ça me fait du bien de te parler et je ferai tout pour ne pas lâcher la thérapie. »

Ne pas le voir 5 minutes avant l’heure dans la salle d’attente et sentir qu’aujourd’hui ne sera pas comme d’habitude.

Tapoter l’index sur la table. 

Respirer.

Attendre.

Préférer que le lien ne soit pas encore bien tissé et qu’il m’ait oubliée que d’imaginer le pire…

Me demander si je n’ai pas de nouvelles, qu’est-ce que je fais ?

Attendre et me demander si j’appelle après les 15 minutes posé par mon cadre. 

Et si c’est la famille qui décroche ?

Et là penser… Je suis seule face à moi-même, à mes choix, à mon humanité, à mon éthique, à mon cadre ?! Et je vis pour la première fois les 15 minutes les plus longues et angoissantes de ma pratique.

Attendre un client qui n’arrive pas, parfois c’est aussi ça. M’inquiéter pour lui. Me demander ce qui a bien pu se passer entre les séances. Me demander comment il a traversé sa vie et s’il tient le coup.

Lui envoyer un message et lui dire que je l’attends, que ce n’est pas habituel chez lui, que je suis inquiète et espérer que ce n’est qu’un contre-temps.

Le connaître suffisamment pour savoir les pensées qu’il pourrait avoir s’il a oublié et qui inhibe sa reprise de contact.

Imaginer toutes les configurations possibles.

Et puis envoyer un message encore. Lui rappeler que je suis là, que s’il a oublié la séance, que ce n’est pas grave, je suis là pour la prochaine séance, que notre lien reste intact et qu’il revienne vers moi poser un autre RDV.

Puis essayer de rester tranquille. Continuer à vivre ma journée avec cette boule au ventre. Non pas faire comme s’il ne se passait rien. Rester connecter à la vie avec cette émotion. Et puis juste faire confiance au lien que nous avons commencé à créer. Lui faire confiance, croire qu’il retrouvera le moyen de reprendre contact avec moi.

Et recevoir des heures plus tard des excuses puis un merci pour le message et pour la présence. Un message qui dit que cela l’a beaucoup aidé et une demande de reprise de RDV.

Le lien est là. Fragile. Mais là.

Même si un moment, j’aurais pu perdre pied. Si je n’avais pas fait attention à sa structure et ses propres schémas, j’aurai pu distordre ce lien, prise moi-même par le réveil que provoque les silences de l’autre dans le lien chez moi. Alors j’ai dû m’accueillir un instant, comprendre que l’anxiété qui s’active m’appartient. M’accueillir pour pouvoir ensuite me mettre de côté.

Et lui envoyer le message qui nous a permis de nous remettre dans la relation.


Ju' - En toute intimité de Gestaltiste      

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