
Il y a bien des années maintenant, je m’étais rendu compte à
quel point chaque mot employé m’engageait, à différents degrés, dans ma
relation à l’autre. Je me suis notamment rendu compte à quel point ma parole n’avait
aucune valeur dès lors que je n’y mettais pas consciemment une intention. Ce
qui avait engendré derrière des difficultés relationnelles et un manque de
confiance de l’autre vis-à-vis de moi.
Dernièrement, il m’a été souvent pointé du doigt le fait que
j’étais trop sensible face aux mots, trop sensible par rapport aux communs des mortels.
Et que parfois même, il était difficile de s’adresser à moi sans avoir en souci
de peser les mots, à réfléchir sur les termes employés par peur de me froisser.
En réalité, je ne me froisse pas, je tique sur leur emploi et je l’exprime.
Mais il est vrai que je suis très sensible aux mots, à ceux
qui sont dits, ce qui sont susurrer à demi-mots et mêmes à ceux qui ne sont pas
dits. Même les mots parfois mal employés - selon moi - sont extrêmement signifiants pour moi.
Depuis quelques années maintenant, cet aspect-là, qui constitue
l’être social que nous sommes, a une importance pour moi. Notamment parce que dans
mes premières interactions et communication, les mots et la parole n’avaient aucune
valeur. Les mots s’envolaient mais pourtant, l’acte symbolique était fort et s’inscrivait
dans mon être, puis plus tard dans mon rapport aux autres.
Quelle valeur accordons-nous donc aux mots ? Notamment
dans notre relation aux autres ?
Parce que dans mon expérience et même sans le vouloir, leurs
énergies déploient une vibration chez moi… Les mots ont une profondeur, un
sens, un pouvoir. Le pouvoir de nous traduire dans nos intentions, dans notre être.
Le langage offre la possibilité de communiquer, communiquer
invite à l’échange et à une forme de socialisation et donc à la relation.
Le langage, la parole que nous offrons à l’autre, engage.
Comment est-il possible pour moi, désormais consciente de cela, de ne pas en
tenir compte ?
Hannah Arendt disait : « Les mots justes trouvés au bon
moment sont de l’action. » C’est bien là pour moi une réalité sur ce que
je perçois du pouvoir des mots.
Les mots sont un signifiant, une symbolique, qui transmettent
à eux seuls notre perception, notre vision du monde, nos représentations
sociales. Ils offrent un corps à nos émotions, mettent en mouvement nos
intentions, construisent pour une part notre relation aux autres. Ils sont
autant une manifestation d’amour que de destruction.
Quand on a conscience de cela, peut-on les employer sans les
mesurer ?
J’associe peut-être un peu trop les mots aux intentions. Mais
c’est ainsi que je les marie, c’est ainsi que je les manie.
Pourtant, je ne dis pas par là que je suis toujours en train
de les penser, de les réfléchir, de les mesurer. Je ne suis pas constamment dans
cette recherche du mot juste. Je n’en finirai jamais.
Lorsque j'entends, écoute, la
parole de l’autre, on me pense régulièrement dans une analyse extrême… et
pourtant… je les perçois seulement à travers mes propres représentations, je
les ressens au-delà de ce qu’ils sont : une énergie qui circule, une
intention posée, une esquisse du monde interne de celui/celle qui les emploie.
Pourtant, je n’ai pas un lexique très développé. Mon stock
de vocabulaire est très restreint. Je passe mon temps à chercher mes mots dans
l’intention de pouvoir être au plus près de ce que je voudrais exprimer ou
faire ressentir à l’autre. Je peux être parfois gauche, mais j’ai conscience de
ce que je peux provoquer chez l’autre.
Je constate chaque jour que beaucoup de conflits se créent
parce qu’en réalité, nous sommes tous et toutes sensibles à l’intention qui
passe à travers le langage, à travers les mots que nous employons. C’est pourquoi
je porte une attention particulière à revenir à chaque fois sur ma façon de communiquer.
Je terminerai cet article avec cette phrase de Merleau Ponty que
je viens à l'instant de trouver sur la toile pour tenter de traduire ma pensée, mais je vous avouerai avoir eu du mal à l'exprimer…
« La parole nous
permet de rejoindre une intention qui va au-delà du sens des mots »