"Il ne faut pas de tout pour faire un monde, il faut du bonheur et rien d'autre." Paul Eluard


“ L'écriture est un exercice spirituel, elle aide à devenir libre. ” Jean Rouaud

“ L’écriture est à la fois une façon d’être dans l’humanité et au plus près de l’humain. ” Philippe Claudel

4 avril 2025

Au cimetière comme au musée...

 

La fête des morts tombe entre le 4 et le 5 avril chez les chinois. 

Un tour au cimetière pour aller se remettre en contact symbolique avec nos ancêtres. 

Après avoir pris le temps de laver les tombes, retirer la poussière, arracher les mauvaises herbes, arrive le moment où on dépose des offrandes, on allume de l'encens et on prie. 



Et c'est là que j'ai ressenti, cette année, une ambivalence face à la tombe de ma grand-mère maternelle. 

Un ressentiment face à la dureté de cet être et une envie d'aimer ce qui nous constitue, car nous sommes de la même veine, nous sommes du même sang.

Grand-mère...

Rien de ce que tu as été, de ce que ma mère a été, est encore, et de ce que je suis n'est délié. 

Et pourtant, je m'entendais malgré moi penser : "Nous n'avons pas encore régler tous nos comptes." et puis cette part consciente qui arrivait de suite derrière : "Et pourtant, comme je comprends pourquoi tu as été si dure..."

J'ai vu en même temps nos liens intergénérationnels et comment chaque expérience et souffrance se transmettent d'une génération à l'autre. J'ai ressenti ta froideur, la dureté dans tes yeux. Les mêmes que je vois souvent dans ceux de ma mère et à travers lesquels j'ai grandi.

Je me suis longtemps dis... Être mère... Nous n'avons jamais su faire. Toi, elle et ses soeurs... Et puis moi.

A 22 ans, je disais : "Je ne veux pas être mère." et pourtant, aujourd'hui alors que l'horloge biologique fait résonner encore plus fort ce tic-tac contre le temps, je suis persuadée que j'aurai su l'être désormais. 

Je ne sais pas encore si un jour je regretterai d'avoir créé ma propre prophétie, de m'être tant convaincue pendant toute ma vie que je ne voulais pas vous ressembler dans ce rôle maternel - et qui n'en portait que le nom - et qui m'a amenée à ne jamais prendre ce risque de ne pas savoir donner suffisamment d'amour à un enfant. Mon enfant.

Et le comble du comble, je me suis occupée des enfants des autres. J'ai aimé les enfants des autres. J'ai éduqué un peu aussi les enfants des autres. Et aujourd'hui, j'accompagne des adultes à cajoler l'enfant qu'ils ont été.

Rien n'est anodin, car en donnant à tous ces autres durant mon parcours, c'était aussi une façon de donner à l'enfant que j'étais ce que je n'avais pas reçu. Je l'ai souvent pensé même avant de démarrer ma thérapie. Cela me paraissait si clair que mes choix n'étaient pas anodins.

Je suis restée un moment là, à regarder la fumée se dissiper devant toi et puis...

Comme au musée, ou à la terrasse d'un café, je me suis mise à ressentir profondément... Mais qui connaît vraiment les histoires derrières tous ces visages sur ces tombes ?

Même toi, ma grand-mère, je ne sais pas grand chose de toi. Et même quand je demande à ta fille, ma mère... elle ne sait même pas te raconter. Elle n'a rien à dire sur toi, de votre lien, de votre relation. Alors, vois-tu, à part des faits factuels, dans lesquels je pourrai imaginer tes facteurs de risques pendant ta période développementale, je n'ai que ça à quoi me raccrocher. 

Une grand-mère, orpheline à 9 ans. Une arrière grand-mère, morte écrasée par un arbre. Une maladie mentale parait-il aussi. Voilà les seules infos concrètes que j'ai de toi, de vous, de nous... Alors quelle mère as-tu eue toi aussi ? Comment t'es-tu toi-même construite dans ton attachement ? Quelle mère de substitution as-tu eu ?
On disait que tu pouvais être très dure, avec un regard noir et tranchant, ne laissant rien passer à personne. Je pense le connaître ce regard, tant je le retrouve dans les yeux de ma mère.

Et puis... Je t'ai regardée, puis j'ai regardé ma mère et puis rien. C'est là, ainsi, notre histoire.

Et comme au musée, ou à la terrasse d'un café, je me suis mise à ressentir profondément... Mais qui connaît vraiment les histoires derrière tous ces visages sur ces tombes ? 


Je me suis mise à flâner entre les allées, m'arrêtant de part et d'autres à des endroits qui ont attiré mon attention. Imaginant derrière les dates de naissance, de décès, ces hommes et ces femmes en noir et blanc, ces enfants, ces ados qui n'ont pas vécu longtemps... des histoires... plein d'histoires...

Et puis... en avançant vers une tombe... je vois la photo d'un jeune homme... Un vieil monsieur arrive à ce moment-là. Je croise son regard alors qu'il commence à s'occuper de la tombe (de son fils ?). Je lui dis bonjour. J'aurais aimé me poser à côté de lui, lui parler. Mais une langue nous sépare. 

Puis à 15 tombes dans la même allée de celle de ma grand-mère, je l'ai vu se retourner, la tête baissée,  il a levé la main vers la tombe en guise d'un au revoir et s'en aller doucement en titubant.
J'ai regardé partir cet homme boitant et je me suis sentie profondément touchée par ce spot : ce vieil homme, la tombe d'un jeune homme... Un père et son fils (?)... 

Je me suis mise à pleurer.

6 commentaires:

  1. Mes yeux ont commencé à se mouiller tout au long que je te lisais. Certes, je connais un petit peu de ton histoire. Mais tu en fais une petite synthèse concernant ta lignée maternelle. C'est émouvant de vérité et tu donnes tellement de toi.
    Bien sûr, tu clarifieras peu à peu ce qui pourra l'être.
    Ce dont je suis persuadé, et je parle un peu d'expérience personnelle et professionnelle, c'est que quand on prend le chemin de clarifier sa vie autant qu'on le peut, on en découvre le sens profond et la nécessité de mettre en œuvre et de suivre sa ligne de vie. Il y a une fécondité novatrice. Évidemment rien n'est tracé d'avance, il n'y a qu'une vague direction, mais pas n'importe laquelle. On sait juste qu'on va plutôt vers l'est et pas vers l'ouest. Ou le nord vers le sud comme on voudra… Ensuite on construit d'opportunités en opportunités, mais le « fil rouge » sera toujours là et on saura très bien quand on est dans sa ligne et quand on s'en écarte.
    Alors, si mes yeux étaient encore mouillés à la fin, c'était d'une forme de réjouissance profonde d'être à être qui se re-connaissent et se re-connaîtront de génération en génération.
    J'espère ne pas être trop obscur…

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    1. Tout d'abord, je tiens à te partager que je me suis sentie touchée à la lecture de ton commentaire. Toucher l'autre c'est créer du lien entre les êtres, comme si malgré des histoires différentes que chacun·e porte, quelque chose de commun est là.

      Le chemin n'est jamais terminé en soi tant qu'on n'a pas rendu notre dernier souffle et je te rejoins sur ce cheminement qui se clarifie avec le temps et la curiosité de soi.

      La fin de ton commentaire reste un peu obscure. Elle me laisse à deux interprétations possibles, et qui me conviennent toutes deux aussi.
      Je n'ai qu'un mot : MERCI.

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  2. C'est un texte fort que tu livres ici. Fort et profond. Ce qui m'interpelle c'est cette idée de "dureté" dans le regard à travers les générations de femmes dont tu proviens. Qu'est-ce qui peut produire un tel regard envers son enfant ? La blessure/crainte qui en découle explique largement ton refus d'enfant.
    Je suis touché aussi par cet aveu de ta mère : elle n'a rien à dire de son lien avec sa propre mère. Cela trahit, me semble t-il, un haut degré d'incommunication... et la souffrance qui en résulte.

    Merci pour ce texte.

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    1. Ta dernière phrase résume déjà pas mal de chose.

      Ce n'est pas rien si désormais je propose de la psychothérapie du contact, du lien, de la relation :-)
      Il y a du pas très bon et il y a aussi du bon qui ressort de nos histoires, fort heureusement !

      Merci d'avoir fait un détour par chez moi Pierre.

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  3. Oups, j'ai oublié de m'identifier

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